Dans la ligne des Semaines sociales de France créées il y a plus de cent ans pour réfléchir sur les implications sociales de l’Evangile, le thème de cette semaine (en fait trois jours) était « Dignité-service-solidarité. Vers un pays renouvelé ».
Il faudrait tout un article pour rendre compte de la richesse des contributions. Je retiens cette pensée du politologue Yevgen Hlibovytskyi : « Les catastrophes qu’a vécues l’Ukraine (Tchernobyl, la guerre, la corruption, le manque de sécurité) nous disent une seule chose : il faut être humain » ! Dans cet article je me limiterai à la question de la recherche de l’unité chrétienne.
Celebration oecuménique dans la cathédrale S. Alexandre. Kiev. 8 juin 2017
Le chemin de la paix
Cette rencontre a commencé par une célébration œcuménique dans la cathédrale S. Alexandre. Le nonce apostolique, Mgr Claudio Gugerroti a dit ces paroles fortes : « Le problème de l'unité n'est pas un problème social. La division est une blessure au corps de l'Eglise, car Jesus demande l’unité. Elle n'est pas facultative. Si le Père et le Fils sont un, nous ne pouvons pas être divisés, sinon nous offensons l'unité de la Trinité».
Boris Gudziak, évêque des gréco-catholiques ukrainiens de France, Benelux et Suisse se rappelle que, sous le régime soviétique, cette cathédrale avait été transformée en Institut de l'athéisme, où il a fait sa thèse de doctorat. « L’œcuménisme nous fait retourner aux sources : Jésus mort et ressuscité. Le postulat que Christ nous propose et auquel nous ne pourrons jamais renoncer est paradoxal : si tu veux être premier, tu dois être dernier. Le grain doit mourir pour porter du fruit. Pour entrer dans la vie tu dois porter ta croix ».
Le représentant du Patriarcat orthodoxe de Kiev souligne que les dons du Christ doivent être partagés avec tous. « Commencer ensemble par une prière, même si on est peu nombreux est le signe que Dieu bénit cette manifestation ».
Quant à Anatoli Kozachok, évêque d’une Eglise pentecôtiste, il remarque que chercher la paix interconfessionnelle, c’est aussi chercher la paix du pays. Le Christ a montré le chemin de cette paix en se faisant pauvre.
L’unité des chrétiens ukrainiens. Un nouveau format.
De gauche à droite: P. Iwan Dacko, Antoine Arjakovsky, P. Georgi Kovalenko, Halyna Bohonko
Je relate ici une table ronde sur le thème de l’unité des Eglises qui a eu lieu à l’Université orthodoxe ouverte de Sainte Sophie.
En Ukraine 67% de personnes se considèrent comme religieuses. Sur celles-ci 68% sont orthodoxes. Les Eglises sont en croissance, mais l’indifférence croit encore plus rapidement.
Le P. Iwan Dacko, président de l’Institut d’études œcuméniques de Lviv parle du désir d’unité, comme chemin vers la communion des Eglises. Les chrétiens se divisent en deux catégories : ceux qui veulent l’unité et ceux qui ne la veulent pas. « Where there is a will, there is a way » : Là où il y a une volonté, il y a un chemin...
Simona Merlo, de la communauté de Sant Egidio, parle de l’œcuménisme de la miséricorde. L’amitié avec les pauvres unit les chrétiens. Cette communauté, bien présente en Ukraine, en fait ici l’expérience.
Le pasteur pentecôtiste Mykahilo Cherenkov – que nous avions déjà rencontré - propose une perspective protestante sur l’unité : « Une Eglise divisée n’a rien à dire au monde divisé. Personne ne doit rejeter ses traditions, mais tous ont à découvrir la bienveillance de Dieu et à s’ouvrir au dialogue. La confrontation ne mène à rien. C’est seulement en sortant de l’isolationnisme, l’Eglise peut être utile à la société ».
Pour le dominicain Wojciech Suruvka, deviner quel sera le nouveau format de l’unité est bien difficile. Seul l’Esprit saint le sait ! Mais nous pouvons indiquer quels facteurs doivent être conservés pour aller vers cette unité. D’après lui, l’Eglise doit avoir quatre principes : la tradition avec Jacques, la liberté de l’Esprit avec Paul, l’amour avec Jean, le service pastoral avec Pierre. « Les problèmes viennent quand on absolutise un principe. Pour arriver à un nouveau format nous devons conserver ces principes en équilibre, à la fois dans et entre nos Eglises ».
Un autre dominicain, Petro Baloh, rappelle que l’Eglise du Christ reste une dès le début et ne peut être divisée, malgré la diversité des confessions et des traditions. Mais cette unité invisible ne suffit pas. Aimer son frère doit être visible. L’unité chrétienne doit être visible sur terre, pas seulement au ciel. Elle doit être un objectif pour notre pèlerinage terrestre.
Quelques témoignages au sujet de JC 2033
Lors de cette table ronde, j’ai pu brièvement présenter le mouvement autour des deux mille ans de la résurrection du Christ qui est la raison de notre venue en Ukraine. Voici aussi quelques témoignages de personnalités que nous avons rencontrées:
P. Georgi Kovalenko, fondateur de l’Université orthodoxe ouverte : « Pour un tel événement, il faut inventer un nouveau format de célébration : sortir de nos Eglises et nous ouvrir au monde. Il faut que cela soit différent ».
Dans le même sens, le président de l’Oeuvre d’Orient – œuvre qui construit des ponts entre la France et les Eglises orientales - Mgr Pascal Gollnish, s’est exprimé ainsi : « Ce qui m'intéresse n'est pas tellement de célébrer entre chrétiens la résurrection du Christ en 2033. Je pense à Jésus qui a prié pour l’unité afin que le monde croie. Quelle parole avons-nous pour le monde pour qu’il puisse croire ? »
Constantin Sihov, directeur du Centre d’Etudes européennes de l’Université de Kiev est surpris de cette initiative. "Un pays globalement orthodoxe va-t-il accepter cette idée qui vient d’ailleurs ? Il faut inculturer ce message pour que les gens arrivent à saisir que cette occasion de témoigner ensemble de la résurrection du Christ n’est pas un message confessionnel, ni politique ».
Antoine Arjakovsky, directeur d’études au Collège des Bernardins (de confession orthodoxe) trouve l’idée d’anticiper 2033 excellente : « Je rêve d’une année 2033 où les communautés locales s’ouvrent sur le monde en témoignant de l’amour, de la joie, de la justice et de la paix du Royaume de Dieu. Et du coup de pouvoir communier ensemble au saint Calice. Cela serait un témoignage magnifique ! »
Priez pour l’Ukraine !
Cette rencontre œcuménique s’est terminée par un magnifique concert donné par plusieurs groupes folkloriques devant la nouvelle cathédrale grecque catholique de la Résurrection.
En chemin avec Siatoslav Shevshuk, chef de l'Eglise greco-catholique d'Ukraine
Durant le repas qui a suivi nous avons eu une longue conversation avec Mgr Siatoslav Shevshuk, patriarche de l'Eglise grecque catholique. Ce jeune chef nous a écouté avec attention et fraternité. Membre du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, il est passionné d’unité chrétienne.
« Pour nous byzantins, Pâques est la fête des fêtes, la joie des joies. Chaque dimanche nous revivons Pâques avec une forte présence du Christ ressuscité », nous dit-il. Nous avons évoqué en particulier la notion de « Jubilé » qui n’a pas le même sens entre catholiques et protestants : « Je connais bien le pape François, car j’ai été évêque à Buenos Aires. Je vais lui écrire au sujet de la question d’un jubilé œcuménique » !
Avant de nous quitter il nous a demandé ardemment de ne pas oublier l‘Ukraine dans nos prières et d’informer les Eglises de Suisse sur cette « guerre oubliée ». « Nous avons besoin de vos prières sans lesquelles nous ne pourrons sortir de cette situation inextricable » !
C’était beau de terminer nos visites dans une cathédrale consacrée au Christ ressuscité. C’est lui qui guidera et unira l’Eglise dans cette belle Ukraine, si complexe et si blessée par des déchirures de toutes sortes. Aucune douleur ni division ne lui sont étrangères, puisqu’il les a toutes traversées. Il est le secret de tout renouveau.
L’Ukraine est sans doute aussi un laboratoire pour le mouvement JC 2033. Tant de diversités, tant de dynamisme et de potentiel au sein de tant de pressions ! Sans doute un endroit à retourner.